CHAPITRE PREMIER

— Votre Grâce ! Votre Grâce !

Une voix aigrelette tira Su-pra Clar, légat de la planète Illith, de son sommeil. L’écran cristallin du transmetteur holographique jetait des lueurs vives sur le plafond et le mur.

— Votre Grâce, répéta la voix.

Su-pra Clar grommela, étouffa un bâillement, se leva et se dirigea vers le bureau de bois précieux nimbé de lumière bleue. La chaleur nocturne était telle qu’il avait l’impression de se mouvoir dans un bain de vapeur brûlante. Sa longue chemise de nuit lui collait aux jambes et rendait sa démarche hésitante. Il s’assit devant le transmetteur. Ses gros doigts coururent sur la console noire et composèrent son code confidentiel. Le visage fendillé et contrarié de pra Kurol, son secrétaire, se dessina sur l’un des alvéoles de l’écran.

— Vous savez pourtant que j’ai une sainte horreur d’être dérangé en pleine nuit, maugréa Su-pra Clar.

— Veuillez me pardonner, Votre Grâce, mais un envoyé spécial du Berger Suprême demande à vous voir de toute urgence.

Amplifié par les minuscules micros tympanaux greffés dans les conduits auditifs des utilisateurs de l’hologramme, le timbre à la fois aigu et voilé de pra Kurol vrillait les tympans du légat d’Illith.

— Remettez l’entrevue à demain matin.

— Je crains fort que cela soit impossible, Votre Grâce. Il vous attend déjà dans la salle des réceptions privées.

— Qu’a-t-il donc de si important à me dire ? Il ne se passe jamais rien sur cette satanée planète. Gahi Balra, notre Berger Suprême, se soucie de ses fils d’Illith comme de sa première bure.

Sur l’alvéole, la face ingrate de pra Kurol demeura impassible. Le secrétaire connaissait parfaitement les raisons de l’acrimonie permanente de son supérieur hiérarchique mais, étant donné le rôle qu’il jouait au palais de la légation, il avait pris pour habitude de ne trahir aucune de ses émotions.

— Cette chaleur est insupportable, gémit Su-pra Clar. Ne vous avais-je pas demandé de régler la climatisation du palais ?

— J’ai fait procéder à toutes les vérifications, Votre Grâce, mais le taux élevé d’humidité…

— Vous avez toujours réponse à tout.

Su-pra Clar s’essuya le front d’un revers de manche. Cela faisait maintenant vingt-deux années universelles que la hiérarchie du Chêne Vénérable le laissait moisir sur Illith dont le climat étouffant lui détraquait chaque jour un peu plus le système nerveux. Il lui avait fallu du temps pour admettre que son douloureux exil durerait aussi longtemps que Gahi Balra occuperait le trône pontifical : le premier soin du Berger Suprême, élu en conclave, avait été de bannir pour l’éternité ses rivaux déclarés et battus.

Pra Kurol jugea le moment opportun d’ajouter :

— Dois-je annoncer à cet envoyé que vous êtes souffrant, Votre Grâce ?

— Surtout pas. Vous m’avez réveillé et, puisque le mal est fait, autant savoir ce qu’il nous veut. Laissez-moi le temps de m’habiller et venez me rejoindre dans l’antichambre.

Su-pra Clar interrompit la communication et sonna ses serviteurs. Les ampoules des hautes lampes à eau murales s’emplirent de lumière blanche et deux fras vêtus de la bure safran s’introduisirent dans la chambre. Comme l’indiquaient leurs yeux étrangement brillants, les deux serviteurs, des anciens missionnaires, avaient été frappés par la fièvre rouge, une maladie incurable provoquée par les virakus, des insectes proliférant dans les jungles d’Illith.

Quelques instants plus tard, Su-pra Clar et pra Kurol pénétraient dans la salle des réceptions privées, une vaste pièce enfouie dans les profondeurs du sous-sol du palais de la légation et qui offrait, contrairement aux appartements du rez-de-chaussée et des étages supérieurs, une appréciable fraîcheur.

Assis sur un simple tabouret, le visiteur était penché sur un antique livre-papier. La lumière d’une applique se réfléchissait sur son crâne rasé. La pierre de synthèse, une phriste blanche, de son anneau paraissait énorme sur son index décharné. De sombres auréoles constellaient sa chasuble verte frappée sur la poitrine, du symbole holographique du Chêne. Quelque chose d’intimidant, d’inquiétant, se dégageait de lui. Complètement absorbé par sa lecture, il ne prêtait aucune attention aux deux arrivants.

Su-pra Clar toussa légèrement et marmonna :

— Installez-vous donc dans un fauteuil. Vous serez plus à votre aise.

Le visiteur releva lentement la tête. Une intense fatigue creusait son visage émacié. Ses yeux mi-clos où luisaient des braises noires se promenèrent un long moment sur les deux arrivants.

— Ce tabouret me convient parfaitement.

Su-pra Clar haussa les épaules et se laissa choir sur une large banquette tendue de soie mauve. Pra Kurol se posa du bout des fesses à côté de son encombrant supérieur. Les bords des profondes crevasses qui sillonnaient le visage et le crâne bruns du secrétaire étaient agités de subtils frémissements. Il faisait des efforts pour ne rien en laisser paraître, mais ces signes avant-coureurs d’une imminente transformation le remplissaient d’effroi. Il lui fallait rapidement trouver un moyen d’écourter l’entrevue.

Attirés par les lumières des appliques, quelques lézards translucides s’étaient faufilés par une lucarne entrouverte et s’ébattaient sur les murs et le plafond blancs.

— Inutile de nous perdre en vaines civilités, reprit le visiteur en refermant le livre-papier. Vous et moi sommes des Ultimes du Chêne Vénérable et…

Il se tut et enveloppa pra Kurol d’un regard sévère. Le secrétaire se sentit brusquement à l’étroit dans sa bure verte. L’envoyé du Berger Suprême avait-il deviné quelque chose à son sujet ?

— Il serait préférable que le pra n’assiste pas à l’entretien. Ce que j’ai à dire est strictement confidentiel.

Soulagé, pra Kurol se leva et se dirigea vers la sortie. Il s’en tirait à bon compte. Mais Su-pra Clar lui agrippa le bras et le contraignit à se rasseoir.

— Pra Kurol est le plus précieux de mes collaborateurs. Il restera donc ici.

Le double menton et les bajoues du légat d’Illith tremblaient de colère contenue. En dépit de la relative fraîcheur régnant sur l’endroit, des rigoles de sueur se coulaient entre les replis adipeux de son crâne rasé.

— À votre aise. Cette décision relève de votre responsabilité… Je suis l’Ultime Su-pra Ging, en mission spéciale pour notre Berger Suprême. Je recherche un homme qui s’est réfugié sur Illith.

— Un grand hérétique ?

— Un ancien membre du Jahad qui a trahi notre Église. Il m’a échappé par deux fois : dans l’espace et sur Racinn.

— Comment a-t-il pu échapper à la sphère de recensement mental ?

— Il utilise une technique de sorcellerie qui brouille l’empreinte mentale.

— Il avait probablement établi un contact préalable avec le réseau clandestin des Magiciens, intervint pra Kurol qui, mal à l’aise, se tortillait comme un ver sur la banquette.

Su-pra Ging fixa le secrétaire d’un air mauvais, comme pour lui reprocher sa perspicacité :

— Ce réseau a été décapité.

Il se leva et arpenta la pièce de long en large. Les appliques, disposées à intervalles réguliers, étiraient son ombre sur les angles des murs. Effrayés, les lézards refluèrent en direction de la lucarne.

— N’a-t-on pas une… reproduction de son visage ? demanda pra Kurol.

— Dois-je vous rappeler les règles de notre sainte Église ? siffla le visiteur. Nous avons institué le tabou formel de l’image et personne, pas même le Jahad, ne s’aviserait de le transgresser. Tout ce que je puis vous dire de ce traître, c’est qu’il est de haute taille, mince, que ses cheveux sont noirs et bouclés, et que ses yeux sont d’un vert assez peu commun.

— Si cet homme est un déserteur du Jahad, je suppose qu’on a commandé l’ouverture automatique de la capsule de poison greffée près de son cœur. Personne ne peut survivre à…

— Lui, il l’a pu. Et fort heureusement. Mais ne me demandez pas comment.

Le secrétaire remarqua que Su-pra Clar avait discrètement déplacé sa main droite, de manière à orienter son propre anneau vers l’envoyé du Berger Suprême. Le soupçonneux légat d’Illith tentait de démêler le vrai du faux dans les paroles de Su-pra Ging. Kurol avait deviné depuis longtemps que les anneaux des Ultimes n’étaient pas de simples attributs ornementaux. La phriste blanche de synthèse captait certaines vibrations mentales et s’assombrissait lorsqu’elle était dirigée vers un dissimulateur.

Su-pra Clar prenait un risque considérable. Une bulle pontificale interdisait à tout Ultime d’utiliser son anneau de sincérité contre l’un de ses pairs. Un décret confidentiel que le secrétaire était parvenu à intercepter, comme, d’ailleurs, toute information qui transitait par le palais de la légation.

— Il serait souhaitable pour vous de ne pas chercher à me piéger ! glapit Su-pra Ging en se retournant.

Saisi, Su-pra Clar enfouit précipitamment sa main dans un repli de sa chasuble. Son visage poupin se couvrit de confusion.

— Je serais en droit de vous faire traduire devant un tribunal d’exception, poursuivit Su-pra Ging d’un ton glacial. Les sphères d’investigation mentale établiraient aisément le bien-fondé de mon accusation et vous pourriez fort bien achever votre carrière dans un four à déchets.

— Veuillez me pardonner… Je n’ai pas voulu vous abuser… Un réflexe…

Les deux hommes, l’un debout et l’autre assis, se défièrent un long moment du regard. Un rayon empourpré de l’un des sept satellites d’Illith tombait de la lucarne et parait les traits du visiteur d’une aura maléfique.

Kurol ressentit un tiraillement familier. Sa peau rugueuse commençait à réclamer l’énergie de la Mère Terre. L’intrusion tardive de Su-pra Ging tombait au pire moment. Coincé, le secrétaire n’avait plus d’autre choix que celui d’assister son supérieur jusqu’à la fin de cet entretien officieux et impromptu. Entre le chargé de mission du Berger Suprême, pétri de l’importance que lui conférait son statut particulier, et le légat d’Illith, écarté du pouvoir central et assoiffé de revanche, le conflit semblait inévitable. Kurol pensa qu’il y aurait peut-être un bon parti à tirer de leur animosité réciproque, mais, pour l’instant, l’urgence lui commandait de trouver un moyen de mettre un terme à la discussion et de les renvoyer dans leurs appartements.

— Quel est exactement l’objet de votre démarche, Votre Grâce ? demanda-t-il à Su-pra Ging.

Celui-ci revint s’asseoir sur le tabouret.

— Selon mes informations, Rohel Le Vioter, c’est le nom du fuyard, cherche à entrer en contact avec la confrérie des Maîtres Sonneurs. Vous avez probablement entendu parler de ces sorciers…

— Comme tout le monde, répondit Su-pra Clar, sur la défensive. On prétend que la vibration de leur chant transfère instantanément les voyageurs d’une galaxie à l’autre. Mais ce n’est probablement qu’une légende.

— Je n’en suis pas aussi certain que vous. Et, dans le doute, j’exige que vous m’aidiez à les localiser. (Su-pra Ging martelait ses mots, comme pour les graver dans l’esprit de ses interlocuteurs.) Non seulement à les localiser, mais également à les neutraliser avant que Rohel Le Vioter n’ait eu le temps de les rejoindre. S’il nous échappait, ce serait une perte irréparable pour notre Église.

Le secrétaire jeta un bref regard de biais au légat d’Illith et prit une profonde inspiration avant de déclarer :

— Vous demandez l’impossible, Votre Grâce. Selon la légende, la confrérie des Maîtres Sonneurs serait basée à Mérédith, une ville située en plein cœur de la jungle septentrionale d’Illith. Une jungle inextricable, peuplée de tribus primitives, dangereuses. Il faudrait remonter tout le fleuve Jahong depuis le port de Radao jusqu’à sa source…

— Sottises. Nous disposons de bulles aériennes. Il suffit de survoler cette jungle et de descendre aux coordonnées de Mérédith avec des plates-formes mobiles.

Pra Kurol étira ses lèvres couleur de bois mort en une moue réprobatrice, mouvement qui accentuait l’aspect monstrueux de son visage. Sa peau le tiraillait de plus en plus. Un fourmillement caractéristique gagnait ses pieds et ses chevilles. Il ne restait plus que quelques minutes avant le déclenchement de la transe métamorphique. Il surmonta tant bien que mal son inquiétude et s’efforça de conserver un ton et une attitude neutres :

— Cette partie de la planète est protégée par une sorte de barrière invisible et isolante, d’origine non déterminée. Si un engin aérien, quel qu’il soit, cherche à forcer le passage, il explose en vol. Je vous le répète, Votre Grâce, la seule solution consiste à remonter le Jahong. Un voyage long, périlleux, dont à ma connaissance jamais personne n’est revenu. Ce Rohel Le Vioter n’a pratiquement aucune chance de parvenir à son but. Primo, les probabilités d’existence des Maîtres Sonneurs sont infimes. Secundo, les fièvres, les dragons-vampires ou les tribus auront certainement raison de lui.

Les yeux froids de Su-pra Ging se fichèrent dans ceux du secrétaire :

— Eh bien, nous organiserons une expédition pour nous assurer de tout cela. Et, puisque vous semblez fort bien connaître votre sujet, pra, vous nous accompagnerez.

— Hors de question ! protesta Su-pra Clar. Les affaires de la légation requièrent la présence permanente de pra Kurol.

Su-pra Ging redressa la tête comme un serpent prêt à mordre :

— En tant que plénipotentiaire, j’ai la préséance absolue sur tout autre membre du clergé, fût-il à la tête d’une légation. Vous devez donc obéir à mes ordres, Su-pra Clar. Dois-je donc, pour la deuxième fois, vous rappeler les règles fondamentales du Chêne Vénérable ?

Le légat devint livide. Fustigé par la morgue du visiteur, il entrouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun son ne franchit sa gorge.

Pra Kurol éprouvait les pires difficultés à canaliser le feu intérieur qui se répandait tout le long de sa colonne vertébrale. S’il ne regagnait pas rapidement le caveau secret des métamorphoses, il risquait de se dessécher et de pourrir sur place. Il y perdrait la vie, mais ce n’était pas le plus important : en révélant sa véritable nature aux représentants de l’Église, il compromettrait la chaîne de reconquête auquel il avait voué toute son existence et dont il était un maillon essentiel.

Su-pra Clar étouffa sa colère et retrouva aussitôt l’usage de la parole :

— Qu’a donc fait cet homme pour que vous le recherchiez avec tant d’acharnement ?

— Il vaut mieux, pour vous et pour moi, que vous ne le sachiez pas.

Bien qu’il n’admît pas de réplique, le ton cinglant de Su-pra Ging ne dissuada pas le légat de revenir à la charge :

— Je ne puis me satisfaire de votre réponse ! Je vous rappelle que la légation relève de mon entière responsabilité. Vous êtes donc tenu de m’expliquer les motifs de votre mission sur Illith.

Kurol pria tous les dieux de ses ancêtres pour que cessât sur-le-champ la vaine querelle de préséance qui opposait les deux Ultimes. Un liquide transparent, odorant, sa sève intérieure, suintait par les pores dilatés de sa peau. Il ressentait dans chacune de ses cellules l’impérieux et poignant appel de la Mère Terre. Il refoula tant bien que mal la tentation de retirer sa bure verte et de courir se vautrer dans la vasque de renaissance.

— Nous reparlerons de vos prérogatives demain matin à la première heure, lâcha enfin Su-pra Ging d’une voix lasse.

L’envoyé du Berger Suprême se leva, sortit et emprunta le couloir gravitationnel menant au bâtiment annexe réservé aux hôtes de marque.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Su-pra Clar après un moment de silence qui parut interminable au secrétaire.

— Veuillez m’excuser, Votre Grâce. Je ne me sens pas très bien…

Des frissons couraient sur ses bras et ses jambes. Une substance brune, visqueuse, s’écoulait des commissures de ses lèvres grises et craquelées. Une telle confusion s’emparait de son esprit qu’il ne parvenait plus à ordonner ses pensées et ses mots.

— Vous auriez déjà dû soigner cette fièvre chronique, soupira le légat.

Kurol se recroquevilla sur la banquette et enfouit son visage dans ses mains, autant pour échapper au regard inquisiteur de son supérieur que pour soutenir sa tête, de plus en plus lourde. Des images et des sensations fulgurantes le traversaient comme des lames. Impatientes de se plonger dans l’humus régénérateur, ses racines rétractiles tentaient de crever les semelles de ses sandales.

Jusqu’alors, les nuits où les sept lunes s’alignaient dans le ciel d’Illith, il était toujours parvenu à se libérer de ses nombreuses obligations au palais de la légation et à accomplir l’indispensable rite de fusion originelle.

— Allez donc vous reposer. Pendant ce temps, je vais appeler un vieil ami en poste au palais épiscopal d’Orginn. J’ai la très nette impression que l’Ultime Su-pra Ging n’a pas la conscience tranquille et qu’il nous cache quelque chose…

— À demain, Votre Grâce…

Kurol s’éjecta de la banquette et s’engouffra à son tour dans le couloir gravitationnel. La longue plate-forme s’éleva dans un chuintement assourdi. Elle se stabilisa à hauteur de l’immense palier du rez-de-chaussée plongé dans la pénombre. Les veilleuses des ascenseurs individuels, sagement alignées aux pieds des tubes de montée, luisaient dans l’obscurité comme des yeux de dragons-vampires.

Le secrétaire se dirigea vers une porte de service. Il sortit une vieille clef à code d’un repli de sa bure. La précipitation rendait ses gestes saccadés, imprécis, sa respiration se faisait laborieuse, sifflante. La porte s’ouvrit en grinçant. Kurol traversa d’abord les cuisines désertes, silencieuses, où flânaient de vagues relents d’épices et de friture. Sa sève intérieure coulait désormais en abondance. Imbibée, l’étoffe rêche de sa bure lui entravait les jambes. Titubant, il se glissa derrière les énormes machines à ondes lavantes. Là, il repéra l’entrée du caveau, dissimulée par une cloison en trompe-l’œil. Il composa à tâtons le code d’ouverture sur la petite console enchâssée dans le revers d’une de ses manches. Ses doigts gourds ne lui obéissaient presque plus, un voile opaque tombait sur ses yeux torturés, une lave brûlante inondait ses entrailles, un étau aux mâchoires puissantes lui comprimait le crâne et les poumons.

Le pan de cloison coulissa dans le mur. Au bord de l’asphyxie, Kurol rassembla ses dernières forces et se faufila dans l’étroite bouche noire. La vasque de régénération, un puits ovale rempli de terre, se dressait au centre du caveau. Les lueurs vacillantes de deux bulles flottantes fatiguées léchaient les pierres arrondies de la voûte.

Animé par son seul instinct de survie, le secrétaire s’avança vers la vasque. Des vagues spasmodiques agitaient la surface du terreau. La terre et l’humus mélangés ressemblaient à un océan miniature soulevé par une forte houle.

Les deux mains de Kurol vinrent se placer de chaque côté du col arrondi de sa bure. Il n’avait plus le temps de dénouer les multiples lacets qui maintenaient les nombreux plis de son vêtement. Sa sève intérieure s’était déjà durcie au contact de l’air et avait formé des bourrelets de protection à plusieurs endroits. Elle avait également fixé l’étoffe sur son épiderme comme l’aurait fait une colle à prise rapide. Il déchira la bure de haut en bas. Des lambeaux entiers de sa peau s’arrachèrent en même temps que le tissu. Une douleur effroyable le crucifia. Nu, couvert de sang, à demi inconscient, il trouva encore les ressources nécessaires pour se débarrasser de ses sandales, enjamber le rebord de la vasque et s’effondrer sur le terreau.

Immédiatement, un ineffable bien-être se diffusa dans ses membres, dans son ventre, dans sa poitrine. Consciente de l’extrême faiblesse de son enfant, la Mère Terre concentra toute son énergie pour le ramener à la vie. Alors, les racines de Kurol se déployèrent joyeusement dans le sein humide de la nourricière. Il oublia sa souffrance, se redressa et s’immobilisa en position verticale, la position de l’arbre, au centre du puits. La transe métamorphique pouvait commencer. Il allait momentanément sortir du rôle ingrat que les siens lui avaient demandé de jouer au palais du Chêne Vénérable et s’abîmer dans l’extase de la métamorphose.

Une intuition soudaine traversa son esprit gagné par l’euphorie : ce Rohel Le Vioter, pourchassé par l’Ultime Su-pra Ging, était peut-être le Raïm, le prophète que la Mère Terre et son peuple attendaient depuis six siècles. La prédiction des grands anciens lui revint en mémoire : L’humain venu des lointaines étoiles dérobera la formule à l’Église du Mal. Traqué, il se réfugiera dans le sein d’Illith. Il prononcera la formule de destruction. Le sol s’ouvrira sous les pieds de l’ennemi et détruira la prison érigée par les Sonneurs. Et adviendra le règne éternel de la Mère Terre…

Il lui sembla que la terre de la vasque buvait avidement ses pensées.

Cycle de Dame Asmine d'Alba
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